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Tout sur l’embaumement des corps

Emission CQFD – Reportage par Sarah Dirren, 4 décembre 2017, RSR La Première

Les techniques d’embaumement ont une très longue histoire. Elles ont été développées pour faire face au pourrissement du cadavre. Sur un plan anthropologique, cela permet de traiter collectivement l’impureté représentée par le mort et, plus globalement, par la dissolution de l’être. C’est pourquoi le corps mort a toujours fait l’objet des plus grands soins. Les métiers de la mort sont donc très anciens aussi. Il est intéressant de lire à ce sujet le roman du finlandais Mika Waltari, publié à la fin des années 1970, qui raconte les aventures de Sinouhé l’Egyptien, 14 siècles avant l’ère chrétienne, visitant les embaumeurs.

Les pratiques d’embaumement sont attestées de la préhistoire à l’Antiquité, et du Moyen Age à nos jours. Un point qui permet néanmoins de les distinguer – indépendamment des procédés techniques mis en oeuvre – est que ces pratiques soit sont destinées aux morts (dans la mesure où on les prépare à une renaissance ou une vie future, c’est par exemple le cas de la momification égyptienne ou plus près de nous des techniques de cryogénisation) ; soit elles s’adressent aux vivants eux-mêmes, ce qui correspond à la thanatopraxie contemporaine.

C’est surtout durant la deuxième moitié du XIX siècle que l’embaumement s’est développé sous sa forme contemporaine, en particulier au Etats-Unis et au Canada. Il y a essentiellement trois facteurs qui expliquent ce développement : le premier tient dans le fait que le traitement des morts se spécialise et s’uniformise avec la professionalisation des pompes funèbres, via les ‘funeral-homes’ notamment. Ces lieux respectent de nouvelles règles d’hygiène et permettent de présenter les défunts de manière standardisée aux familles, selon un principe psychologique qui voudrait que l’impact visuel du corps serait atténué et favoriserait le deuil ; il est à noter toutefois que l’argument psychologique n’a véritablement été utilisé qu’à partir des années 1940.

Le deuxième facteur est le fait que les pompes funèbres, aux Etats-Unis et au Canada du moins, ont tiré parti du développement de la médecine qui a acquis le droit de disséquer des corps au fil du XIXe siècle. En se définissant dans l’orbite médicale – on peut en effet obtenir un bachelor en ‘sciences mortuaires’ – les pompes funèbres ont donné une légitimité aux techniques modernes d’embaumement, notamment auprès du public. Le troisième et dernier facteur est plus contextuel : durant la guerre de sécession aux Etats-Unis, il s’agissait de rapatrier les soldats décédés et de les rendre aux familles dans un état convenable plusieurs semaines après le décès. C’est durant cette période, entre 1861 et 1865, que la thanatopraxie actuelle a véritablement débuté.

Si ces trois facteurs réunis semblent bien expliquer l’essor de la thanatopraxie en Amérique du Nord, ainsi que sa régulation, il ne faut pas négliger les facteurs culturels. Certains auteurs ont ainsi considérés que la volonté de maîtriser la mort est non seulement associée aux notions de pureté, comme indiqué auparavant, mais aussi à l’ostentation et à la réussite économique et sociale. Ce qui serait particulièrement le cas aux Etats-Unis. En Europe, où la thanatopraxie n’avait pas cours avant les années 60, le développement de l’embaumement est à géométrie variable. Certains pays ne la pratiquent que dans un cadre médico-légal, pour des motifs d’hygiène ou de santé publique ; d’autres encouragent cette pratique pour la présentation des défunts via le secteur funéraire.

D’un point de vue historique, il paraît clair que la demande ne provient pas des familles mais des professionnels qui ont su constituer leur identité en partie autour de la thanatopraxie. Ceux-là ont su, avec cette technique, apporter des solutions pratiques aux familles dont les corps devaient être rapatriés, plus particulièrement au sein des familles migrantes. En Suisse, cette pratique reste très peu connue et répandue. Les familles ne demandent donc pas nécessairement à embaumer leurs morts.

La technique moderne de l’embaumement a souvent été critiquée. Le principal motif étant qu’elle reflèterait un déni de la mort, dans la mesure où la thanatopraxie rendrait au mort son apparence de vivant et entretiendrait ainsi l’ambiguïté quant au statut du défunt. Or la confusion n’est guère possible. Tout le contexte dans lequel les morts embaumés sont présentés ne laisse que peu de place au doute. Le corps mort est bien mort. L’un des avantages par contre de l’embaumement contemporain, par rapport à la toilette mortuaire qui permet surtout de voir le corps, tient dans la possibilité de non seulement toucher le mort ou de l’embrasser, mais aussi de personnaliser sa présentation.

Il faut cependant recourir à un traitement somme toute assez violent, technique et intrusif, pour y parvenir. En ce sens, cette pratique peut apparaître comme une vanité funéraire, mais une vanité qui reste très liée à l’ère du temps et aux développements technologiques et scientifiques qui vont avec. Au fond, la thanatopraxie ne change pas l’un des principes anthropologiques fondamentaux, à savoir retenir le mort durant un certain laps de temps pour mieux s’en détacher et s’en séparer.

Marc-Antoine Berthod, 4 décembre 2017

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