Mort & Anthropologie.

Soins palliatifs, Ritualité, Mémoire, Deuil, Suicide assisté, Ethique, Esthétique, Technologie, Corps, Fin de vie, Croyance, Pratique professionnelle, Crémation, Catastrophe,

Search
Tous les articles Picture

Le droit contre les usages : la crémation, destination et statut des cendres

L’intention de cet article est d’analyser les transformations en cours au regard du droit. La crémation si elle offre un cadre actuellement plus souple que l’inhumation avec la possibilité de conserver l’urne cinéraire à domicile, de disperser les cendres en tout lieu autre que la voie publique ou de déposer l’urne dans un caveau familial, un cavurne ou un columbarium, celui-ci est remis en cause. La proposition de loi du 22 juin 2006 adoptée en première lecture au Sénat vise : à mieux encadrer la crémation mais aussi à contrôler la qualification des opérateurs funéraires, à améliorer la formation professionnelle des personnels et à simplifier les démarches des familles. Le débat étant plus vif au sujet de la crémation, notamment sur la destination ultime des cendres, leur utilisation, leur statut, nous nous proposons de porter notre attention sur cet axe en particulier. Outre l’analyse des pratiques et des représentations contemporaines de la crémation, notre propos se fonde sur l’étude de la proposition de loi ainsi que sur le compte rendu intégral des débats au Sénat, soit un texte d’une cinquantaine de pages.

En quoi une société a-t-elle nécessité de recourir à un encadrement légal à propos de la crémation ? Pourquoi semble-t-il obligatoire de doter les cendres d’un statut légal alors que tel n’avait pas été le cas pour le cadavre ? Comment justifier le fait qu’il ne sera plus possible de conserver les cendres au domicile des proches du défunt ? Pourquoi valider de façon légale un culte du souvenir avec au centre le cimetière, alors même que la crémation d’un point de vue pratique et philosophique reconnaît la possibilité d’une dissipation des cendres ? Autant de questions que le sociologue doit se poser afin de mesurer et comprendre les mutations en cours. Il s’agit de voir comment le droit s’invite dans la construction d’une norme sociale, alors que des comportements hétéroclites se multiplient peinant à dire ce qui fait le propre de la crémation aujourd’hui en France. Entre publicisation et privatisation, entre normalisation et liberté individuelle, le travail de la loi est l’objet d’une tension entre ce qui se doit d’être encadré et ce qui relève des choix intimes des individus, d’où cette posture qui vise à « encadrer la liberté » (Nonnis Vigilante). Or, en la matière les consensus se négocient âprement et c’est le registre de la morale qui bien souvent fait tampon. Comment assurer la libre disposition des cendres tout en encadrant leur destination ? Comment trouver un équilibre entre le principe du respect dû aux défunts et le principe de liberté des funérailles ? C’est le défi que s’est fixé le législateur. Gageure, pari audacieux, engagement éthique c’est selon, une chose est sûre, l’entremise du droit fait œuvre de normalisation sans réellement lever les ambiguïtés.

 

Gaëlle Clavandier, Quaderni, n°67, 2008

Liens