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Traces mémorielles (corps et objets) de deux catastrophes aériennes qui ont eu lieu à Chamonix en 1950 (Malabar Princess) et 1966 (Kangchenjunga)

Dans le cadre de la participation à un documentaire réalisé par Rémy Batteault, diffusé sur France 3 en 2015, j’ai été amenée à réfléchir sur le statut des traces mémorielles (corps et objets) de deux catastrophes aériennes qui ont eu lieu à Chamonix en 1950 (Malabar Princess) et 1966 (Kangchenjunga).

Ces deux crash étant intervenus sur une arrête sommitale du Mont Blanc, les fragments de corps et objets sont restés sur place. Or, en raison de la fonte du glacier des Bossons et des mouvements de terrain occasionnés, ces divers restes ressurgissent et questionnent les pratiques. Des fragments et objets refont surfaces. Chose étonnante, ce sont les objets (éléments d’avion, vêtements, bijoux, valises, journaux, calendriers, papiers d’identités…) qui déchaînent les passions, alors même que les restes humains sont très peu investis. Des alpinistes, dont les motivations sont diverses (chasse au trésor, témoignage), sillonnent le secteur à la recherche de ces traces. Une artiste locale en a fait le projet d’une vie en sculptant les débris d’avion qu’elle s’approprie pour réaliser ses œuvres.

Plus de soixante ans après le premier drame, plusieurs questions se posent aujourd’hui. La résurgence fortuite de ces restes est complexe à traiter car elle fait rejaillir des éléments de preuve, ou tout simplement des éléments effectifs, qui viennent réactiver des événements que les pouvoirs publics avaient en partie tus à l’époque des faits. Les victimes étant pour la plupart étrangère (par leur nationalité, et leur absence de lien avec le monde de la montagne à la différence des guides et sauveteurs), elles n’avaient pas réellement leur place ici. Les laisser « en haut » revenait à les tenir à distance.

Le « rejet de ces débris » par le glacier entretien un climat assez symptomatique en l’absence de réponse claire des pouvoirs publics. Sans parler de conflits de mémoire officiel, la mémoire des drames tend à se privatiser. Par ailleurs, cette réminiscence  interroge le statut des restes matériels : à qui appartiennent-ils ? doit-on les restituer ? ont-ils une valeur patrimoniale ou plus simplement une valeur sentimentale permettant de reconstruire « une histoire » ? Ces objets, notamment les parures de femmes indiennes, sont-ils vecteurs d’une (re)considération des victimes qui jusque-là étaient désincarnées, étrangères au contexte chamoniard ?

Plus qu’un enjeu d’identification, à savoir donner un nom aux victimes et inhumer leurs corps, ces objets constituent un signe, une métonymie qui vaut pour le silence des corps.

Gaëlle Clavandier

Colloque international, Traces matérielles de la mort de masse. L’objet exhumé, Marseille, France, novembre 2015.

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